fort peu. Cela devait être ainsi pour sûr. Le maître fait courageusement face aux apparitions et leur crie qu’il est prêt, qu’ils peuvent le prendre. Mais Kedril, poltron comme un lièvre, se cache sous la table ; malgré sa frayeur, il n’oublie pas de prendre avec lui la bouteille. Les diables disparaissent, Kedril sort de sa cachette, le maître se met à manger sa poule ; trois diables entrent dans la chambre et l’empoignent pour l’entraîner en enfer. « Kedril, sauve-moi ! » crie-t-il. Mais Kedril a d’autres soucis ; il a pris cette fois la bouteille, l’assiette et même le pain en se fourrant dans sa cachette. Le voilà seul, les démons sont loin, son maître aussi. Il sort de dessous la table, regarde de tous côtés, et… un sourire illumine sa figure. Il cligne de l’œil en vrai fripon, s’assied à la place de son maître, et chuchote à demi-voix au public :
— Allons, je suis maintenant mon maître… sans maître…
Tout le monde rit de le voir sans maître ; il ajoute, toujours à demi-voix d’un ton de confidence, mais en clignant joyeusement de l’œil :
— Les diables l’ont emporté !…
L’enthousiasme des spectateurs n’a plus de bornes ! cette phrase a été prononcée avec une telle coquinerie, avec une grimace si moqueuse et si triomphante, qu’il est impossible de ne pas applaudir. Mais le bonheur de Kedril ne dure pas longtemps. À peine a-t-il pris la bouteille de vin et versé une grande lampée dans un verre qu’il porte à ses lèvres, que les diables reviennent, se glissent derrière lui et l’empoignent. Kedril hurle comme un possédé. Mais il n’ose pas se retourner. Il voudrait se défendre, il ne le peut pas : ses mains sont embarrassées de la bouteille et du verre dont il ne veut pas se séparer ; les yeux écarquillés, la bouche béante d’horreur, il reste une minute à regarder le public, avec une expression si comique de poltronnerie qu’il est vraiment à peindre. Enfin on l’entraîne, on l’emporte, il gigote des bras et des jambes en serrant toujours sa bouteille,