Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/253

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qu’il avait occupée pendant son séjour ; il n’avait pu supporter la seconde moitié. Mais j’ai déjà parlé de cet homme.

Tous les détenus sans exception, même les plus pusillanimes, ceux que tourmentait nuit et jour l’attente de leur châtiment, supportaient courageusement leur peine. Il était bien rare que j’entendisse des gémissements pendant la nuit qui suivait l’exécution ; en général, le peuple sait endurer la douleur. Je questionnai beaucoup mes camarades au sujet de cette douleur, afin de la déterminer exactement et de savoir à quelle souffrance on pouvait la comparer. Ce n’était pas une vaine curiosité qui me poussait. Je le répète, j’étais ému et épouvanté. Mais j’eus beau interroger, je ne pus tirer de personne une réponse satisfaisante. Ça brûle comme le feu, — me disait-on généralement : ils répondaient tous la même chose. Tout d’abord, j’essayai de questionner M—tski : « — Cela brûle comme du feu, comme un enfer ; il semble qu’on ait le dos au-dessus d’une fournaise ardente. » Ils exprimaient tout par ce mot. Je fis un jour une étrange remarque, dont je ne garantis pas le bien fondé, quoique l’opinion des forçats eux-mêmes confirme mon sentiment, c’est que les verges sont le plus terrible des supplices en usage chez nous. Il semble tout d’abord que ce soit absurde, impossible, et pourtant cinq cents verges, quatre cents même, suffisent pour tuer un homme ; au dessus de cinq cents la mort est presque certaine. L’homme le plus robuste ne sera pas en état de supporter mille verges tandis qu’on endure cinq cents-baguettes sans en être trop incommodé et sans risquer le moins du monde de perdre la vie. Un homme de complexion ordinaire supporte mille baguettes sans danger ; deux mille baguettes ne peuvent tuer un homme de force moyenne, bien constitué. Tous les détenus assuraient que les verges étaient pires que les baguettes. « Les verges cuisent plus et tourmentent davantage », disaient-ils.