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Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/255

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La société méprise le bourreau de métier, mais non le bourreau-seigneur. Chaque fabricant, chaque entrepreneur doit ressentir un plaisir irritant en pensant que l’ouvrier qu’il a sous ses ordres dépend de lui avec sa famille tout entière. J’en suis sûr, une génération n’extirpe pas si vite ce qui est héréditaire en elle ; l’homme ne peut pas renoncer à ce qu’il a dans le sang, à ce qui lui a été transmis avec le lait. Ces révolutions ne s’accomplissent pas si vite. Ce n’est pas tout que de confesser sa faute, son péché originel, c’est peu, très-peu, il faut encore l’arracher, le déraciner, et cela ne se fait pas vite.

J’ai parlé du bourreau. Les instincts d’un bourreau sont en germe presque dans chacun de nos contemporains ; mais les instincts animaux de l’homme ne se développent pas uniformément. Quand ils étouffent toutes les autres facultés, l’homme devient un monstre hideux. Il y a deux espèces de bourreaux : les bourreaux de bonne volonté et les bourreaux par devoir, par fonction. Le bourreau de bonne volonté est, sous tous les rapports, au-dessous du bourreau payé, qui répugne pourtant si fort au peuple, et qui lui inspire un dégoût, une peur irréfléchie, presque mystique. D’où provient cette horreur quasi superstitieuse pour le dernier, tandis qu’on n’a que de l’indifférence et de l’indulgence pour les premiers ? Je connais des exemples étranges de gens honnêtes, bons, estimés dans leur société ; ils trouvaient nécessaire qu’un condamné aux verges hurlât, suppliât et demandât grâce. C’était pour eux une chose admise, et reconnue inévitable ; si la victime ne se décidait pas à crier, l’exécuteur, que je tenais en toute autre occasion pour un bon homme, regardait cela comme une offense personnelle. Il ne voulait tout d’abord qu’une punition légère, mais du moment qu’il n’entendait pas les supplications habituelles, « Votre Noblesse ! ayez pitié ! soyez un père pour moi ! faites que je remercie Dieu toute ma vie, etc. », il devenait furieux et ordonnait d’administrer