Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/277

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argent ; j’ai déjà parlé de ce mariage à Maria Stépanovna : nous sommes d’accord. » Moi, je lui dis : « — Donnez-moi vingt roubles tout de suite, et je l’épouse. » Ne le crois pas, si tu veux, mais jusqu’au jour de mon mariage j’ai été ivre. Et puis Philka Marosof ne faisait que me menacer. « Je te casserai les côtes, espèce de fiancé d’Akoulka ; si je veux, je dormirai toutes les nuits avec ta femme. — Tu mens, chien que tu es ! » Il me fit honte devant tout le monde dans la rue. Je cours à la maison ! Je ne veux plus me marier, si l’on ne me donne pas cinquante roubles tout de suite.

— Et on te l’a donnée en mariage ?

— À moi ? pourquoi pas ? Nous n’étions pas des gens déshonorés. Mon père avait été ruiné par un incendie, un peu avant sa mort ; il avait même été plus riche qu’Ankoudim Trophimytch. « Des gens sans chemise comme vous devraient être trop heureux d’épouser ma fille ! » que le vieil Ankoudim me dit. — « Et votre porte, n’a-t-elle pas été assez barbouillée de goudron ? » lui répondis-je. — « Qu’est-ce que tu me racontes ? Prouve-moi qu’elle est déshonorée… Tiens, si tu veux, voilà la porte, tu peux t’en aller. Seulement, rends-moi l’argent que je t’ai donné ! » Nous décidâmes alors avec Philka Marosof d’envoyer Mitri Bykof au père Ankoudim pour lui dire que je lui ferais honte devant tout le monde. Jusqu’au jour de mon mariage, je ne dessoûlai pas. Ce n’est qu’à l’église que je me dégrisai. Quand on nous amena de l’église, on nous fit asseoir, et Mitrophane Stépanytch, son oncle à elle, dit : « Quoique l’affaire ne soit pas honnête, elle est pourtant faite et finie. » Le vieil Ankoudim était assis, il pleurait ; les larmes coulaient dans sa barbe grise. Moi, camarade, voilà ce que j’avais fait : j’avais mis un fouet dans ma poche, avant d’aller à l’église, et j’étais résolu à m’en servir à cœur joie, afin qu’on sût par quelle abominable tromperie elle se mariait et que tout le monde vît bien si j’étais un imbécile…