Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/281

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épouser quand j’étais ivre ; vous m’avez trompé. » Le vieil Ankoudim voulut d’abord s’en mêler ; il me dit un jour : « — Fais attention, tu n’es pas un tel prodige qu’on ne puisse te mettre à la raison ! » Mais il n’en mena pas large. Maria Stépanovna était devenue très-douce ; une fois, elle vint vers moi tout en larmes et me dit : « — J’ai le cœur tout angoissé, Ivan Sémionytch, ce que je te demanderai n’a guère d’importance pour toi, mais j’y tiens beaucoup ; laisse-la partir, te quitter, petit père. » Et la voilà qui se prosterne. « Apaise-toi ! pardonne-lui ! Les méchantes gens la calomnient ; tu sais bien qu’elle était honnête quand tu l’as épousée. » Elle se prosterna encore une fois et pleura. Moi, je fis le crâne : « Je ne veux rien entendre, que je lui dis ; ce que j’aurai envie de vous faire, je vous le ferai parce que je suis hors de moi ; quant à Philka Marosof, c’est mon meilleur et mon plus cher ami… »

— Vous avez recommencé à riboter ensemble ?…

— Parbleu ! Plus moyen de l’approcher : il se tuait à force de boire. Il avait bu tout ce qu’il possédait, et s’était engagé comme soldat, remplaçant d’un bourgeois de la ville. Chez nous, quand un gars se décide à en remplacer un autre, il est le maître de la maison et de tout le monde, jusqu’au moment où il est appelé. Il reçoit la somme convenue le jour de son départ, mais en attendant il vit dans la maison de son patron, quelquefois six mois entiers : il n’y a pas d’horreur que ces gaillards-là ne commettent. C’est vraiment à emporter les images saintes loin de la maison. Du moment qu’il consent à remplacer le fils de la maison, il se considère comme un bienfaiteur et estime que l’on doit avoir du respect pour lui ; sans quoi il se dédit. Aussi Philka Marosof faisait-il les cent coups chez ce bourgeois, il dormait avec la fille, empoignait le maître de la maison par la barbe après dîner ; enfin, il faisait tout ce qui lui passait par la tête. On devait lui chauffer le bain (de vapeur) tous les jours, et encore fallait-il qu’on augmentât la vapeur avec de l’eau-de-vie