Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/282

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et que les femmes le menassent au bain en le soutenant par-dessous les bras . Quand il revenait chez le bourgeois après avoir fait la noce, il s’arrêtait au beau milieu la rue et beuglait : « — Je ne veux pas entrer par la porte, mettez bas la palissade ! » Si bien qu’on devait abattre la barrière, tout à côté de la porte, rien que pour le laisser passer. Cela finit pourtant, le jour où on l’emmena au régiment ; ce jour-là, on le dégrisa. Dans toute la rue, la foule se pressait : « On emmène Philka Marosof ! » Lui, il saluait de tous côtés, à droite, à gauche. En ce moment Akoulka revenait du jardin potager. Dès que Philka l’aperçut, il lui cria : « — Arrête ! » il sauta à bas de la télègue et se prosterna devant elle. — « Mon âme, ma petite fraise, je t’ai aimée deux ans, maintenant on m’emmène au régiment avec de la musique. Pardonne-moi, fille honnête d’un père honnête, parce que je suis une canaille, coupable de tout ton malheur. » Et le voilà qui se prosterne une seconde fois devant elle. Tout d’abord, Akoulka s’était effrayée, mais elle lui fit un grand salut qui la plia en deux : « Pardonne-moi aussi, bon garçon, mais je ne suis nullement fâchée contre toi ! » Je rentre à la maison sur ses talons. — « Que lui as-tu dit ? viande de chien que tu es ! » Crois-le, ne le crois pas, comme tu voudras, elle me répondit en me regardant franchement :

« — Je l’aime mieux que tout au monde. »

— Tiens !…

— Ce jour-là, je ne soufflai pas mot. Seulement, vers le soir, je lui dis : « — Akoulka ! je te tuerai maintenant. » Je ne fermai pas l’œil de toute la nuit, j’allai boire du kvas dans l’antichambre ; quand le jour se leva, je rentrai dans la maison. — « Akoulka, prépare-toi à venir aux champs. » Déjà auparavant je me proposais d’y aller ; ma femme le