Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pénibles que les travaux d’hiver ; on s’occupait surtout des constructions ordonnées par les ingénieurs. Les forçats bâtissaient, creusaient la terre, posaient des briques, ou bien vaquaient aux réparations des bâtiments de l’État, en ce qui concernait les ouvrages de serrurerie, menuiserie et peinture. D’autres allaient à la briqueterie cuire des briques, ce que nous regardions comme la corvée la plus pénible ; cette fabrique se trouvait à quatre verstes environ de la forteresse ; pendant tout l’été on y envoyait chaque matin à six heures une bande de forçats, au nombre de cinquante. On choisissait de préférence les ouvriers qui ne connaissaient aucun métier et qui n’appartenaient à aucun atelier. Ils prenaient avec eux leur pain de la journée ; à cause de la grande distance, ils ne pouvaient revenir dîner en même temps que les autres, ni faire huit verstes inutiles ; ils mangeaient le soir, quand ils rentraient à la maison de force. On leur donnait des tâches pour toute la journée, mais si considérables que c’était à peine si un homme pouvait en venir à bout. Il fallait d’abord bêcher et emporter l’argile, l’humecter et la piétiner soi-même dans la fosse, et enfin faire une quantité respectable de briques, deux cents, voire même deux cent cinquante. Je n’ai été que deux fois à la briqueterie. Les forçats envoyés à ce travail revenaient le soir harassés, et ne cessaient de reprocher aux autres de leur laisser le travail le plus pénible. Je crois que ces reproches leur étaient un plaisir, une consolation. Quelques-uns avaient du goût pour cette corvée, d’abord parce qu’il fallait aller hors de la ville, au bord de l’Irtych, dans un endroit découvert, commode ; les alentours étaient plus agréables à voir que ces affreux bâtiments de l’État. On pouvait y fumer en toute liberté, rester même couché une demi-heure avec la plus grande satisfaction !

Quant à moi, j’allais ou travailler dans un atelier, ou concasser de l’albâtre, ou porter les briques que l’on employait pour les constructions. Cette dernière besogne