Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/294

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que celui qui l’a apportée est un menteur fieffé, Kvassof ; cependant ils s’attachent à ce commérage, le discutent, s’en réjouissent, se consolent, et finalement sont tout honteux de s’être laissé tromper par un Kvassof.

— Et qui le mettra à la porte ? crie un forçat, n’aie pas peur ! c’est un gaillard, il tiendra bon !

— Mais pourtant il a des supérieurs ! réplique un autre, ardent controversiste, et qui a vu du pays.

— Les loups ne se mangent pas entre eux ! dit un troisième d’un air morose, comme à part soi : c’est un vieillard grisonnant qui mange sa soupe aux choux aigres dans un coin.

— Crois-tu que ses chefs viendront te demander conseil, pour savoir s’il faut le mettre à la porte ou non ? ajoute un quatrième, parfaitement indifférent, en pinçant sa balalaïka.

— Et pourquoi pas ? réplique le second avec emportement ; si l’on vous interroge, répondez franchement. Mais non, chez nous, on crie tant qu’on veut, et sitôt qu’il faut se mettre résolument à l’œuvre, tout le monde se dédit.

— Bien sûr ! dit le joueur de balalaïka. Les travaux forcés sont faits pour cela.

— Ainsi, ces jours derniers, reprend l’autre sans même entendre ce qu’on lui répond, — il est resté un peu de farine, des raclures, une bagatelle, quoi ! ou voulait vendre ces rebuts ; eh bien, tenez ! on les lui a rapportés ; il les a confisqués, par économie, vous comprenez ! Est-ce juste, oui ou non ?

— Mais à qui te plaindras-tu ?

— À qui ? Au léviseur (réviseur) qui va arriver.

— À quel léviseur ?

— C’est vrai, camarades, un léviseur va bientôt arriver, dit un jeune forçat assez développé, qui a lu la Duchesse de La Vallière ou quelque autre livre dans ce genre, et qui a été fourrier dans un régiment ; c’est un loustic ; mais comme