Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— Zibert ! Il n’y a pas de général de ce nom-là. Il t’a probablement regardé le dos, ce général-là, quand on te donnait les verges. Ce Zibert n’était probablement que lieutenant-colonel, mais tu avais si peur à ce moment-là que tu as cru voir un général.

— Non ! écoutez-moi, crie Skouratof, — parce que je suis un homme marié. Il y avait en effet à Moscou un général de ce nom-là, Zibert, un Allemand, mais sujet russe. Il se confessait chaque année au pope des méfaits qu’il avait commis avec de petites dames, et buvait de l’eau comme un canard. Il buvait au moins quarante verres d’eau de la Moskva. Il se guérissait ainsi de je ne sais plus quelle maladie : c’est son valet de chambre qui me l’a dit.

— Eh bien ! et les carpes ne lui nageaient pas dans le ventre ? remarque le forçat à la balalaïka.

— Restez donc tranquilles : on parle sérieusement, et les voilà qui commencent à dire des bêtises… Quel léviseur arrive, camarades ? s’informe un forçat toujours affairé, Martynof, vieillard qui a servi dans les hussards.

— Voilà des gens menteurs ! fait un des sceptiques. Dieu sait d’où ils tiennent cette nouvelle ! Tout ça, c’est des blagues.

— Non, ce ne sont pas des blagues ! remarque d’un ton dogmatique Koulikof, qui a gardé jusqu’alors un silence majestueux. C’est un homme de poids, âgé de cinquante ans environ, au visage très-régulier et avec des manières superbes et méprisantes, dont il tire vanité. Il est Tsigane, vétérinaire, gagne de l’argent en ville en soignant les chevaux et vend du vin dans notre maison de force : pas bête, intelligent même, avec une mémoire très-meublée, il laisse tomber ses paroles avec autant de soin que si chaque mot valait un rouble.

— C’est vrai, continue-t-il d’un ton tranquille ; je l’ai entendu dire encore la semaine dernière : c’est un général à grosses épaulettes qui va inspecter toute la Sibérie. On