Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ils se tournèrent de nouveau de mon côté d’un air interrogateur.

— Que viens-tu faire ici ? me dit grossièrement et à haute voix Vassili Antonof, qui se trouvait à côté de moi, à quelque distance des autres, et qui m’avait toujours dit vous avec la plus grande politesse.

Je le regardais tout perplexe, en m’efforçant de comprendre ce que cela signifiait ; je devinais déjà qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire dans notre maison de force.

— Eh ! oui, qu’as-tu à rester ici ? va-t’en à la caserne, me dit un jeune gars, forçat militaire, que je ne connaissais pas jusqu’alors et qui était un bon garçon paisible. Cela ne te regarde pas.

— On se met en rang, lui répondis-je ; est-ce qu’on ne va pas nous contrôler ?

— Il est venu s’y mettre aussi, cria un déporté.

— Nez-de-fer  ! fit un autre.

— Écraseur de mouches ! ajouta un troisième avec un mépris inexprimable pour ma personne. Ce nouveau surnom fit pouffer de rire tout le monde.

— Ils sont partout comme des coqs en pâte, ces gaillards-là. Nous sommes au bagne, n’est-ce pas ? eh bien ! ils se payent du pain blanc et des cochons de lait comme des grands seigneurs ! N’as-tu pas ta nourriture à part ? que viens-tu faire ici ?

— Votre place n’est pas ici, me dit Koulikof sans gêne, en me prenant par la main et me faisant sortir des rangs.

Il était lui-même très-pâle ; ses yeux noirs étincelaient ; il s’était mordu la lèvre inférieure jusqu’au sang, il n’était pas de ceux qui attendaient de sang-froid l’arrivée du major.

J’aimais fort à regarder Koulikof en pareille occurrence, c’est-à-dire quand il devait se montrer tout entier avec ses