Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/332

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qualités et ses défauts. Il posait, mais il agissait aussi. Je crois même qu’il serait allé à la mort avec une certaine élégance, en petit-maître. Alors que tout le monde me tutoyait et m’injuriait, il avait redoublé de politesse envers moi, mais il parlait d’un ton ferme et résolu, qui ne permettait pas de réplique.

— Nous sommes ici pour nos propres affaires, Alexandre Pétrovitch, et vous n’avez pas à vous en mêler. Allez où vous voudrez, attendez… Tenez, les vôtres sont à la cuisine, allez-y.

— Ils sont au chaud là-bas.

J’entrevis en effet par la fenêtre ouverte nos Polonais qui se trouvaient dans la cuisine, ainsi que beaucoup d’autres forçats. Tout embarrassé, j’y entrai, accompagné de rires, d’injures et d’une sorte de gloussement qui remplaçait les sifflets et les huées à la maison de force.

— Ça ne lui plaît pas !… tiou-tiou-tiou !… attrapez-le.

Je n’avais encore jamais été offensé aussi gravement depuis que j’étais à la maison de force. Ce moment fut très-douloureux à passer, mais je pouvais m’y attendre ; les esprits étaient par trop surexcités. Je rencontrai dans l’antichambre T—vski, jeune gentilhomme sans grande instruction, mais au caractère ferme et généreux ; les forçats faisaient exception pour lui dans leur haine pour les forçats nobles ; ils l’aimaient presque ; chacun de ses gestes dénotait un homme brave et vigoureux.

— Que faites-vous, Goriantchikof ? me cria-t-il ; venez donc ici !

— Mais que se passe-t-il ?

— Ils veulent se plaindre, ne le savez-vous pas ? Cela ne leur réussira pas, qui croira des forçats ? On va rechercher les meneurs, et si nous sommes avec eux, c’est sur nous qu’on mettra la faute. Rappelez-vous pourquoi nous avons été déportés ! Eux, on les fouettera tout simplement, tandis qu’on nous mettra en jugement. Le major nous déteste tous