Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/334

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qu’à leur avis, il n’eût pas été décent de prendre parti contre celle-ci.

— Cependant, dis-je à M—tski d’un ton mal assuré, — à part ceux-ci, tous les forçats y sont.

— Qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? grommela D…

— Nous aurions risqué beaucoup plus qu’eux, en les suivant ; et pourquoi ? Je hais tes brigands . Croyez-vous même qu’ils sauront se plaindre ? Je ne vois pas le plaisir qu’ils trouvent à se mettre eux-mêmes dans le pétrin.

— Cela n’aboutira à rien, affirma un vieillard opiniâtre et aigri. Almazof, qui était aussi avec nous, se hâta de conclure dans le même sens.

— On en fouettera une cinquantaine, et c’est à quoi tout cela aura servi.

— Le major est arrivé ! cria quelqu’un. Tout le monde se précipita aux fenêtres.

Le major était arrivé avec ses lunettes, l’air mauvais, furieux, tout rouge. Il vint sans dire un mot, mais résolument sur la ligne des forçats. En pareille circonstance, il était vraiment hardi et ne perdait pas sa présence d’esprit : il faut dire qu’il était presque toujours gris. En ce moment, sa casquette graisseuse à parement orange et ses épaulettes d’argent terni avaient quelque chose de sinistre. Derrière lui venait le fourrier Diatlof, personnage très-important dans le bagne, car au fond c’était lui qui l’administrait ; ce garçon, capable et très-rusé, avait une grande influence sur le major ; ce n’était pas un méchant homme, aussi les forçats en étaient-ils généralement contents. Notre sergent le suivait avec trois ou quatre soldats, pas plus ; — il avait déjà reçu une verte semonce et pouvait en attendre encore dix fois plus. — Les forçats qui étaient restés tête nue depuis qu’ils avaient envoyé chercher le major, s’étaient redressés, chacun d’eux se raffermissant sur l’autre jambe ; ils demeurèrent