Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/335

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immobiles, à attendre le premier mot ou plutôt le premier cri de leur chef suprême.

Leur attente ne fut pas longue. Au second mot, le major se mit à vociférer à gorge déployée ; il était hors de lui. Nous le voyons de nos fenêtres courir le long de la ligne des forçats, et se jeter sur eux en les questionnant. Comme nous étions assez éloignés, nous ne pouvions entendre ni ses demandes ni les réponses des forçats. Nous l’entendîmes seulement crier, avec une sorte de gémissement ou de grognement :

— Rebelles !… sous les verges !… Meneurs !… Tu es un des meneurs ! tu es un des meneurs ! dit-il en se jetant sur quelqu’un.

Nous n’entendîmes pas la réponse, mais une minute après nous vîmes ce forçat quitter les rangs et se diriger vers le corps de garde… Un autre le suivit, puis un troisième.

— En jugement !… tout le monde ! je vous… Qui y a-t-il encore à la cuisine ? bêla-t-il en nous apercevant aux fenêtres ouvertes. Tous ici ! Qu’on les chasse tous !

Le fourrier Diatlof se dirigea vers la cuisine. Quand nous lui eûmes dit que nous n’avions aucun grief, il revint immédiatement faire son rapport au major.

— Ah ! ils ne se plaignent pas, ceux-là ! fit-il en baissant la voix de deux tons, tout joyeux. — Ça ne fait rien, qu’on les amène tous !

Nous sortîmes : je ressentais une sorte de honte ; tous, du reste, marchaient tête baissée.

— Ah ! Prokofief ! Iolkine aussi, et toi aussi, Almazof ! Ici ! venez ici, en tas, nous dit le major d’une voix haletante, mais radoucie ; son regard était même devenu affable. — M—tski, tu en es aussi… Prenez les noms ! Diatlof ! Prenez les noms de tout le monde, ceux des satisfaits et ceux des mécontents à part, tous sans exception ; vous m’en donnerez la liste… Je vous ferai tous passer en conseil… Je vous… brigands !