Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


II


PREMIÈRES IMPRESSIONS


Les premières semaines et en général les commencements de ma réclusion se présentent vivement à mon imagination. Au contraire, les années suivantes se sont fondues et ne m’ont laissé qu’un souvenir confus. Certaines époques de cette vie se sont même tout à fait effacées de ma mémoire ; je n’en ai gardé qu’une impression unique, toujours la même, pénible, monotone, étouffante.

Ce que j’ai vu et éprouvé pendant ces premiers temps de ma détention, il me semble que tout cela est arrivé hier. Il devait en être ainsi.

Je me rappelle parfaitement que, tout d’abord, cette vie m’étonna par cela même qu’elle ne présentait rien de particulier, d’extraordinaire, ou pour mieux m’exprimer, d’inattendu. Plus tard seulement, quand j’eus vécu assez longtemps dans la maison de force, je compris tout l’exceptionnel, l’inattendu d’une existence semblable, et je m’en étonnai. J’avouerai que cet étonnement ne m’a pas quitté pendant tout le temps de ma condamnation ; je ne pouvais décidément me réconcilier avec cette existence.

J’éprouvai tout d’abord une répugnance invincible en arrivant à la maison de force, mais, chose étrange ! la vie m’y sembla moins pénible que je ne me l’étais figuré en route.

En effet, les détenus, bien qu’embarrassés par leurs fers, allaient et venaient librement dans la prison ; ils s’injuriaient, chantaient, travaillaient, fumaient leur pipe et buvaient de l’eau-de-vie (les buveurs étaient pourtant assez rares) ; il s’organisait même de nuit des parties de cartes en règle. Les travaux ne me parurent pas très-pénibles ; il me semblait que ce n’était pas la vraie fatigue du bagne. Je ne