s’asseyant auprès de ceux qui festinaient : bon appétit ! je vous amène un nouveau convive.
— Nous ne sommes pas du gouvernement de Koursk.
— Alors ! amis de Tambof.
— Nous ne sommes pas non plus de Tambof. Tu n’as rien à venir nous réclamer ; si tu veux faire bombance, adresse-toi à un riche paysan.
— J’ai aujourd’hui Ivane Taskoune et Maria Ikotichna (ikote, le hoquet) dans le ventre, autrement dit je crève de faim ; mais où loge-t-il, votre paysan ?
— Tiens, parbleu ! Gazine ; va-t’en vers lui.
— Gazine boit aujourd’hui, mes petits frères, il mange son capital.
— Il a au moins vingt roubles, dit un autre forçat ; ça rapporte d’être cabaretier.
— Allons ! vous ne voulez pas de moi ? mangeons alors la cuisine du gouvernement.
— Veux-tu du thé ? Tiens, demandes-en à ces seigneurs qui en boivent !
— Où voyez-vous des seigneurs ? ils ne sont plus nobles, ils ne valent pas mieux que nous, dit d’une voix sombre un forçat assis dans un coin, et qui n’avait pas risqué un mot jusqu’alors.
— Je boirais bien un verre de thé, mais j’ai honte d’en demander, car nous avons de l’amour-propre, dit le forçat à grosse lèvre, en nous regardant d’un air de bonne humeur.
— Je vous en donnerai, si vous le désirez, lui dis-je en l’invitant du geste ; en voulez-vous ?
— Comment ? si j’en veux ? qui n’en voudrait pas ? fit-il en s’approchant de la table.
— Voyez-vous ça ! chez lui, quand il était libre, il ne mangeait que de la soupe aigre et du pain noir, tandis qu’en prison il lui faut du thé ! comme un vrai gentilhomme ! continua le forçat à l’air sombre.
— Est-ce que personne ici ne boit du thé ? demandai-je à