Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/13

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par une sorte d’humilité. Je sais pourtant qu’il dissipa trois fortunes, en tout 400.000 roubles, plus peut-être. Bien entendu, aujourd’hui il ne lui reste pas un kopek.

Il vint, ai-je dit, visiter sa propriété, — il vint, « Dieu sait pourquoi », comme il me le dit lui-même dans la suite. Ses enfants ne l’accompagnaient pas; il les avait entreposés chez des parents : telles furent toujours ses façons à l’égard de sa progéniture légi­time et illégitime. Or, au nombre des domestiques attachés à cette propriété, il y avait le Macaire Ivanovitch Dolgorouki précité, lequel était jardinier.

Que je note ici, pour m’en débarrasser, l’irritant prestige qui, de mon nom, rejaillissait sur moi. Je ne concéderai pas volontiers que nul être au monde ait pu, du fait de son nom, être fêté autant que je fus. Ecolier, chaque fois qu’une des nombreuses person­nes à qui je devais du respect, maître d’école, inspec­teur, pope, etc., me demandait mon nom et me l’en­tendait proférer, chaque fois j’étais sûr de cette réplique :

— Prince Dolgorouki?

Et, chaque fois, je devais préciser :

— Non, Dolgorouki tout court.

Ce « tout court » avait fini par m’excéder. Je ne me rappelle pas une seule exception, — nul de mes interlocuteurs qui ne m’ait posé la question :

— Prince Dolgorouki?

Pour bien des gens le renseignement devait être inutile, et même je ne vois pas qui diable il a ja­mais pu intéresser. Mais tous s’enquéraient, tous sans exception. Apprenant que je suis Dolgorouki tout court, le questionneur, ordinairement, m’enve­-