loppait d’un regard neutre et hébété, puis il s’éloignait à pas lents.
La question inéluctable, ce sont les camarades de classe qui la formulaient de la façon la plus blessante. On sait l’ingéniosité de cette engeance à berner un nouveau venu. Celui-ci est debout devant quelque gros garçon, un ancien, qui le regarde d’un œil railleur et agressif.
— Ton nom?
— Dolgorouki.
— Prince Dolgorouki?
— Non, simplement Dolgorouki.
— Ah ! simplement ! Imbécile...
Et il a raison, il n ’est rien de plus sot que de s’appeler Dolgorouki sans être prince. Cette sottise, je la traîne après moi comme une queue dérisoire. Dans la suite, devenu plus irascible, — à la question :
— Es-tu prince?
je répondais toujours :
— Non. Je suis le fi1s d’un domestique, ancien serf.
Plus tard (mon irritabilité s’était accrue, et la question me crispait les nerfs et m ’horripilait), je répondis, un jour :
— Non, Dolgorouki tout court, fils illégitime de mon ancien seigneur, M. Versilov.
Ce type de réponse, je l’inaugurai en sixième année scolaire; je me rendis compte assez vite de ce qu’il avait d’impolitique, mais je m’obstinai. Est-ce de cette boutade que s’autorisa un de mes professeurs pour déclarer que j’étais « farci d’idées vindicatives et civiques »? Elle était généralement accueillie par un étonnement nuancé de réprobation. Enfin un de mes condisciples, un garçon très intelligent, avec qui je