Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/40

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De tout et de n’importe quoi. La bonhomie de ses manières dans nos rapports me séduisait, — me séduisait et m’étonnait. M’étonnaient aussi certains détails physiques de sa personne. L’aspect général n’avait rien de singulier : une taille haute et svelte, des cheveux gris, abondants et bouclés, de grands yeux ; mais son visage, naturellement grave, avait cette propriété de passer, d’un coup, du très sérieux au trop frivole, — et c’était d’un effet désagréable, presque inconvenant, et, à une première rencontre, déconcertant. J’ai soumis ces remarques à Versilov. Il m ’a écouté avec curiosité et comme s’il n ’eût pas attendu de moi des observations de ce genre ; incidemment il m’a appris que la particularité dont je parlais s’était manifestée chez le prince postérieure­ment à sa maladie et s’était peut-être accentuée ces derniers temps.

Principalement nous parlions de sujets abstraits, — de Dieu et de son existence (y a-t-il un Dieu, oui ou non?) et des femmes. Le prince était très croyant et très sentimental. Dans son cabinet, il y avait une énorme icone devant quoi brûlait toujours la veilleuse. Mais, subitement, il affectait de douter de l’existence de Dieu et émettait des aphorismes sacrilèges, me provoquant à la réplique. Encore que la question du Très-Haut me passionnât peu, j’accep­tais le débat ; nous nous laissions gagner aux joies de la controverse et ratiocinions de bon cœur. Son thème de prédilection, c’était les femmes. Je ne le suivais pas sans répugnance sur ce terrain, et il s’en attristait parfois.

C’est précisément d’elles qu’il parla, ce matin-là, dès que je fus en sa présence. Il était manifestement dans l’état d’esprit frivole, lui que j’avais laissé tout