Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/48

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rencontrée ici il y a trois semaines... eh bien, ima­gine-toi qu’avant hier, comme je disais en riant que, si je me mariais, du moins je pouvais être tranquille, que je n’aurais pas d’enfant, elle m’a répondu : « Au contraire, soyez sûr que vous en aurez ; vous êtes de la catégorie des personnes qui en ont dès la première année, vous verrez, ah! ah! ah! » C’était dit méchamment, mais avoue que c’était très spirituel.

— Spirituel, mais blessant.

— Eh ! cher enfant, on n’est pas blessé par n’im­porte qui... Je sais apprécier l’esprit : il devient rare...; mais peut-on prendre au sérieux les dires d’Alexandra Pétrovna ?

— Comment avez-vous dit ?... On ne peut être of­fensé par n’importe qui. Précisément ! Il est des gens qui ne sont pas dignes qu’on fasse tant attention à eux. Principe admirable ! J’en avais justement besoin. Vous dites parfois des choses tout à fait topiques.

Il s’épanouit.

N’est-ce pas ! cher enfant, l’esprit bon teint dis­paraît ; plus on va, moins on le rencontre... Eh, mais... C’est moi qui connais les femmes... La re­cherche de l’homme à qui se soumettre, voilà à quoi elles passent volontiers leur vie : elles ont soif de ser­vitude.

Toutes sans exception.

— Absolument juste ! m’écriai-je enchanté.

En temps ordinaire, nous eussions philosophé une heure sur ce thème. Mais un scrupule me piqua. Je devins rouge. Les compliments dont je saluais ses aphorismes n’étaient-ils pas plutôt des compliments à sa bourse ? Du moins n’en serait-il pas convaincu dès que je mettrais sur le tapis la question argent ?

— Prince, je vous prie de me donner immédiate­ment cinquante roubles que vous me devez pour ce