Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/49

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mois, exclamai-je tout à coup, dans une folie de grossièreté.

Je me rappelle (car je me rappelle cette matinée jusqu’aux moindres détails) qu’il se passa entre nous une scène dégoûtante de réalisme. D’abord il ne me comprit pas ; il me regardait de l’air atone de quelqu’un qui ne sait pas ce qu’on lui veut. N’était-il pas tout naturel qu’il ne songeât pas à me donner d’appointements, et, en effet, pourquoi m’en eût-il donné ? Mais quand il eut compris, il mit une hâte fébrile à tirer de sa poche cinquante roubles, et il était devenu rouge. Alors, je me levai et lui déclarai sèchement que je ne pouvais désormais accepter son argent, qu’évidemment on ne m’avait parlé d’argent que par erreur, mais que je n ’avais droit à aucune rétribution, puisque je n’avais accompli aucun tra­vail. Le prince se troubla fort, et entreprit de me per­suader que j’avais beaucoup travaillé, que, dans l’ave­nir, je lui serais encore plus utile ; il déclarait que cinquante roubles étaient un salaire insuffisant, qu’il avait même parlé à Tatiana Pavlovna de son inten­tion de me payer davantage, mais qu’impardonnablement il avait tout oublié. Je déclarai d’un ton péremptoire qu’il était inadmissible que je reçusse salaire pour le récit scandaleux de mon aventure avec les deux dames à queue de soie : je ne m’étais pas loué pour l’amuser, mais pour m’occu­per d’affaires ; il n’y avait pas d’affaires, — je n’avais qu’à m’en aller. Comment aurais-je imaginé l’effet que produisirent ces paroles. Il fut tel, que je cessai de contredire. Le prince en profita pour introduire cinquante roubles dans ma poche. Je les acceptai. Tout finit par quelque lâcheté.

Cher, cher enfant ! exclama-t-il en m’em­-