Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/57

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Je la connaissais déjà par un portrait admirable accroché dans le cabinet du prince et que j’étudiais depuis un mois. Cette fois, je restai en sa présence trois minutes, et pas une seconde je ne la quittai des yeux. Mais si je n’avais pas connu le portrait, et si après ces trois minutes on m’eût demandé : « Com­ment est-elle? » je n’aurais rien répondu, — tout s’em­brouillait dans ma tête.

Je me rappelle seulement que j’ai vu, pendant ces trois minutes, une femme vraiment belle que le prince a embrassée et qui me lançait à la dérobée des regards rapides. Le prince énonça, avec un petit rire embarrassé et en paroles presque indis­tinctes, ma qualité de secrétaire et mon nom. Elle tourna la tête, méchamment me regarda, sourit d’un sourire impertinent. Je fis un pas vers le prince et, d’une voix déchiquetée par le claquement de mes dents :

— J’ai oubl..., j’ai maintenant... quelque chose... à faire... Je m’en vais.

Et, tournant sur mes talons, je sortis.

Depuis, le prince m’a raconté que j’étais si pâle qu’il avait eu peur.

Il n’y avait pas de quoi.