Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/58

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CHAPITRE III

I

Dans la rue, j’aurais chanté d’aise. Cette fin de matinée était charmante. Le soleil, le bruit, le mouve­ment, la foule me grisaient. Fourtant cette femme ne m’a-t-elle pas froissé cruellement ? De qui aurais-je supporté sans une protestation immédiate ce sourire effronté ? A ses yeux, j’étais évidemment un émis­saire de Versilov ; or elle était alors convaincue, comme elle le fut longtemps encore, que Versilov détenait certain document grâce à quoi il pouvait la perdre... Non, vraiment, je ne me sentais pas atteint. Elle avait voulu m’outrager ; mais j’étais invulnérable à un outrage venant d’elle. Moi qui étais arrivé à Pétersbourg avec un programme de haine, j’étais heureux exquisement de sentir que je commençais à l’aimer. Je doute que l’araignée puisse haïr la mou­che qu’elle capte. Bonne petite mouche ! Il me semble qu’on doit être enclin naturellement à aimer sa victime, ou que, du moins, il n ’est pas impossible qu’on l’aime. J’aime mon ennemie ; il me plaît qu’elle soit belle. Il me plaît, madame, que vous soyez majes­tueuse et hautaine ; plus modeste, vous me donne­riez moins de joie. Vous avez craché sur moi, et moi je triomphe ; vous m’auriez craché au visage avec