Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/60

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dais-je, et que ferais-je de ces candélabres ? Si je les achète, le but sera-t-il atteint ? Mais, d’abord, les affaires se font-elles ainsi ? Mon calcul réussira-t-il ? Et ce calcul n’est-il pas enfantin ?  » J’attendis. J’étais dans la situation d’un joueur non encore engagé dans la partie.

Après les candélabres, on mit à l’encan des boucles d’oreilles, puis un coussin de maroquin brodé, puis un petit coffret : le commissaire tenait en éveil les acheteurs par la disparate des objets offerts à leur convoitise. Je m’étais approché du coussin, du coffret, et chaque fois, au moment décisif, je m’étais tenu coi : ces objets étaient par trop inopportuns. Maintenant il y avait entre les mains du commis­saire-priseur un album : « Un album de famille en maroquin rouge, avec dessins à l’aquarelle et à l’encre de Chine, — dans un écrin d’ivoire ciselé à fermoirs d’argent... deux roubles ! » Je m’approchai ; je fus même le seul à m’approcher : l’objet n ’excitait la concupiscence de personne. Je pouvais tirer l’album de son écrin, le regarder à loisir ; je n’usai pas de mon droit ; d’une main tremblante je fis le geste qui signifie : « ça m’est égal », et, claquant des dents, je dis :

— Deux roubles cinq kopeks.

Adjugé... Je payai, je happai l’album, et, dans un coin de la chambre, je le tirai de l’écrin et fébri­lement le feuilletai : c’était un objet parfaitement igno­ble, un album de la dimension d’une feuille de pa­pier à lettres de petit format, très mince, doré sur tranches, écorné, de ces albums sur quoi, dans des temps fort anciens, s’évertuaient les demoiselles frais émoulues du couvent, et l’on y voyait des temples sur la montagne, des cupidons, un étang aux cygnes, des