Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/74

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sine et Kraft. L’homme aux favoris noirs souriait aussi.

— Messieurs, dis-je en tremblant, je ne vous dirai mon idée pour rien au monde. Souffrez, au contraire, que je vous interroge sur vos théories, parce que, voyez-vous, peut-être aimé-je l’humanité mille fois plus que vous tous ensemble. Et, d’ailleurs, puisque vous vous moquez de moi, vous me devez de me ré­pondre. Dites, par quoi me charmerez-vous ? qu’est-ce qui me décidera à vous suivre ? quelle place aura dans votre caserne la protestation de ma personnalité ? De­puis longtemps, messieurs, je désirais vous rencon­trer. Caserne, strict nécessaire, athéisme, communauté des logements et des femmes sans enfants, quel plan enchanteur ! Je serai logé, chauffé et nourri, moyen­nant quoi, j’abjurerai ma personnalité. Permettez... permettez... Un exemple... Vous entrerez dans mon dortoir et vous emmènerez ma femme. Oui, je sais, vous espérez que d’ici-là je serai devenu plus sage et que je me tiendrai coi ; mais la femme, la femme de ce mari si résigné, la femme que dira-t-elle, s’il lui reste une lueur de pudeur ?... C’est hors nature ! Ayez honte !

— Il appert que vous êtes un spécialiste en femmes, opina la nullité.

Un instant, j’eus l’idée de me ruera coups de poing sur cet animal. C’était un être de petite taille, roux et criblé de taches de rousseur... Mais que le diable emporte sa physionomie !

— Tranquillisez-vous, je ne connais pas encore la femme, précisai-je en me tournant pour la première fois vers lui, et je ne m’en soucie !

— Renseignement très précieux, qui gagnerait à être plus enveloppé, en la présence des dames.