Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/76

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est nécessaire que je sache ce que vous pensez de lui.

— Vous me demandez beaucoup. Il me semble que c’est un homme capable d’avoir pour soi-même beau­coup d’exigence et peut-être d’y satisfaire. Mais il ne rend de comptes à personne.

— C’est juste, c’est très juste. Un homme très orgueilleux ! Mais est-ce un honnête homme ? Dites-moi, avez-vous entendu parler de son catholicisme ?

Moins ému, je n’aurais pas posé de telles questions à un homme à qui je parlais pour la première fois : Je m ’étonnais que Vassine feignît de ne pas rem ar­quer ma folie.

— J’en ai vaguement entendu parler, mais je ne sais rien de précis, répondit-il tranquillement.

— Inventions que tout cela !... Et, dites-moi, pen­sez-vous qu’il puisse croire en Dieu ?

— C’est un homme très fier, vous l’avez dit vous-même, et, parmi les hommes de cette nature, beau­coup sont enclins à croire en Dieu, surtout ceux qui méprisent l’humanité.

— Ce doit être vrai, approuvai-je de nouveau. Mais je voudrais comprendre...

— Si fort qu’on soit, on peut éprouver le besoin de s’incliner devant quelqu’un ou quelque chose. S’incliner devant Dieu, c’est encore le moins humi­liant. Parmi ces hommes il en est qui croient avec ardeur ; plus exactement, qui désirent ardemment croire : ils prennent ce désir pour la foi elle-même. Souvent ils finissent désenchantés.

— Vassine, m’écriai-je, vous me réjouissez. Je ne m’étonne pas de la vigueur de votre esprit : je m’étonne que vous puissiez, vous qui m’êtes si supé­rieur, marcher à côté de moi et me parler comme si rien n’était arrivé.