Ordinov avait eu tort de jeter un regard si farouche à Yaroslav Iliitch. C’était le plus honnête et le plus noble des hommes. Mais la situation d’Ordinov était si difficile ! Pour tout dire, Yaroslav Iliitch avait une folle démangeaison d’éclater de rire. À coup sûr, il n’aurait pu se retenir s’il avait été tête à tête avec Ordinov, – de pareils amis ! – et il aurait démesurément ri. En tout cas, il aurait serré avec effusion, après avoir ri, la main d’Ordinov, l’aurait assuré sincèrement qu’il sentait pour lui une double estime, qu’il lui pardonnait… enfin qu’il ne lui reprochait pas ses écarts de jeunesse. Mais son extrême délicatesse ne lui permettait pas, en l’état des choses, de choisir librement son attitude, et il ne savait où se cacher.
— Un moyen, un remède… – reprit Mourine (tous les traits de son visage avaient bougé, à la maladroite exclamation d’Yaroslav Iliitch). Voici ce que je puis vous dire, barine, dans ma stupidité de moujik, voici, – continua-t-il en faisant encore deux pas en avant : – vous avez beaucoup trop lu, monsieur, vous êtes devenu trop intelligent. Comme on dit en russe, chez nous autres moujiks, vous êtes intelligent à devenir fou…