Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/226

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À ce moment, il me parut que mes réflexions étaient celles d’un fou, mais…

― Fouette, cocher, fouette ! Fouette donc, animal !

― Eh ! barine ! répondit la force de la terre [1].

Le froid me saisit.

« Ne vaudrait-il pas mieux… ne vaudrait-il pas mieux… rentrer chez moi ? Ô mon Dieu ! pourquoi donc ai-je tenu à prendre part à ce maudit dîner ? et ma promenade pendant deux heures de la table au poêle ! Non, il faut qu’ils me payent cette promenade, il faut qu’ils lavent cette honte !… Fouette !… Et si Zvierkov refuse de se battre, je le tuerai ! et je dirai : « Voyez tous à quoi le désespoir peut réduire un homme ! » ― Après cela tout sera fini, mon bureau n’existera plus pour moi, on me saisira, on me jugera, on me mettra en prison, on m’enverra en Sibérie, et que m’importe ? Quinze ans après, quand je serai sorti de prison, j’irai, dans mes loques, demander l’aumône à Zvierkov… Dans quelque ville de province, un homme heureux, riche, marié, père d’une belle jeune fille : ce sera lui. J’irai à lui et

  1. Locution usitée pour dire un homme du peuple russe.