Page:Dostoïevsky - L’Esprit souterrain, trad. Halpérine et Morice, 1886.djvu/239

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autres bonheurs ? Pourvu qu’on aime, on est heureux, n’importe où, n’importe comment, même dans la tristesse. Tandis qu’ici, qu’as-tu, sauf peut-être… le vice… Fi !

Je me détournai avec dégoût. Je ne pouvais plus raisonner froidement, je m’étais pris moi-même au piège de ma morale, et déjà le besoin me dominait de communiquer certaines idées favorites, mûries dans la solitude.

― Ne me dis pas : Vous y êtes bien, ici ! Il n’y a rien de commun entre toi et moi, quoique je sois peut-être pire que toi. D’ailleurs j’étais saoul, quand je suis entré (me hâtai-je de dire pour m’excuser). De plus, un homme et une femme ne peuvent être jugés de même. C’est une autre affaire. Que je me salisse et m’avilisse, je ne suis du moins l’esclave de personne. Je viens, je pars, et c’est comme si je n’étais pas venu. Je tourne la tête, et me voilà changé. Tandis que toi, d’abord, tu es une esclave. Oui, une esclave. Tu donnes tout, et avant tout ta liberté. Qu’un jour tu veuilles rompre tes chaînes, elles se resserreront de plus en plus. Ce sont des chaînes maudites, va ! Il y a des choses que je ne peux te dire, tu ne