Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/56

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héritiers du défunt avaient retiré à mon père son emploi. Il avait placé quelque argent à Pétersbourg dans des entreprises financières, et, espérant améliorer sa position de fortune, il crut devoir se transporter ici. Tout cela, je l’appris plus tard de la bouche de ma mère. Ici, nous nous fixâmes dans la Péterbourgskaïa storona, et, tant que vécut mon père, nous ne changeâmes point de domicile.

Qu’il m’est difficile de m’habituer à une vie nouvelle ! Nous arrivâmes à Pétersbourg en automne. Quand nous avions quitté la campagne, la journée était si belle, si claire, si chaude ! Les travaux des champs touchaient à leur fin ; déjà se dressaient d’énormes meules de blé autour desquelles se rassemblaient des bandes d’oiseaux criards ; tout respirait la gaieté la plus sereine. Et ici, à notre entrée dans la ville, nous trouvâmes le mauvais temps, la pluie, le malsain grésil d’automne, et une foule de visages nouveaux, inconnus, rébarbatifs, mécontents, irrités. Nous nous organisâmes tant bien que mal. Je me rappelle tout le tracas que nous donna notre emménagement. Mon père n’était jamais à la maison, ma mère n’avait pas une minute de repos, — on m’oubliait