Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/89

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me considérait comme une petite fille, un enfant… Je répète que je me trouvais dans une disposition d’esprit fort étrange ; mon cœur était amolli, j’avais les larmes aux yeux ; je ne cachai rien, je confessai tout, tout : mon amitié pour lui, mon désir de l’aimer, de vivre en union morale avec lui, de le consoler, de le calmer. Il me regardait d’un air étrange, embarrassé, étonné, et ne me disait pas un mot. Je ressentis tout à coup un cruel chagrin. Je pensai qu’il ne me comprenait pas, que peut-être il se moquait de moi. Je fondis soudain en larmes, comme un enfant, j’éclatai en sanglots sans pouvoir me contenir ; on aurait dit que j’avais une attaque de nerfs. Il me prit les mains, les baisa, les pressa contre sa poitrine, me prodigua des paroles de consolation ; il était fort ému. Je ne me rappelle pas ce qu’il me dit ; seulement je pleurais, je riais, je me remettais à pleurer, je rougissais, la joie ne me permettait pas de proférer un mot. Du reste, malgré mon agitation, je remarquai que l’attitude de Pokrovsky était toujours embarrassée et contrainte. Il semblait ne pouvoir revenir de la surprise que lui causaient mon entraînement, mon exaltation, cette amitié si subite, si ardente,