Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mme  Léotard voulut intercéder pour moi, mais la princesse avait déjà résolu notre séparation. On envoya tout de suite chercher Catherine, et, en bas, on lui annonça qu’elle ne me verrait plus avant le dimanche suivant, c’est-à-dire de toute une semaine.

J’appris tout cela plus tard, le soir. Je fus frappée d’horreur. Je pensais à Catherine et il me semblait qu’elle ne supporterait pas notre séparation. J’étais folle d’angoisse, de douleur, et, pendant la nuit, je tombai malade. Le matin, le prince vint chez moi et me dit à l’oreille d’espérer. Le prince fit tout ce qu’il put, mais tout fut vain : la princesse ne cédait pas. J’étais au désespoir.

Le matin du troisième jour, Nastia m’apporta un billet de Catherine. Elle avait écrit au crayon et très mal le billet que voici :

« Je t’aime beaucoup. Je suis avec maman et ne pense qu’au moyen de m’enfuir jusqu’à toi. Je m’enfuirai, je te le promets. C’est pourquoi ne pleure pas. Écris-moi comment tu m’aimes. Je t’ai embrassée en rêve toute la nuit, et je souffrais terriblement. Je t’envoie des bonbons. Au revoir. »

Je répondis sur le même ton.

Toute la journée je pleurai en lisant le billet de Catherine. Mme  Léotard m’ennuyait de ses caresses. Le soir, j’appris qu’elle était allée chez le prince et avait dit que certainement je tomberais malade pour la troisième fois si je ne voyais pas Catherine et qu’elle regrettait beaucoup d’avoir dit ce qu’elle avait dit à la princesse.

J’interrogeai Nastia pour savoir comment allait Catherine. Elle me répondit que Catherine ne pleurait pas, mais qu’elle était très pâle. Le lendemain matin, Nastia me glissa dans l’oreille : « Allez dans la chambre de son Excellence. Descendez par l’escalier de droite. »

J’avais un heureux pressentiment. Oppressée par l’attente, je courus en bas et ouvris la porte du cabinet de travail du prince. Elle n’était pas là. Tout d’un coup Catherine m’enlaçait par derrière et m’embrassait ardemment en riant et en pleurant… Mais aussitôt Catherine s’arracha de mes bras ; elle courut vers son père, grimpa sur son dos comme un écureuil, mais ne pouvant passe tenir, elle tomba sur le divan. Le prince s’y écroula aussi. La petite princesse pleurait à force de joie.