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Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/114

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— Père, que tu es bon, que tu es bon !

— Petites polissonnes ! Qu’est-ce que vous êtes devenues ? Qu’est-ce que c’est que cette amitié, cet amour ?

— Tais-toi, père, tu ne connais pas nos affaires.

Et, de nouveau, nous nous jetâmes dans les bras l’une de l’autre.

Je commençai alors à l’examiner de plus près. Elle avait maigri durant ces trois jours ; le rouge avait quitté son visage, qui était tout pâle. Je pleurais de tristesse.

Enfin Nastia frappa. C’était signe qu’on demandait Catherine. La petite princesse devint pâle comme une morte.

— Assez, enfants. Nous nous réunirons chaque jour ainsi. Au revoir et que Dieu vous bénisse ! dit le prince.

Il était ému en nous regardant. Mais il avait compté sans le destin. Le même soir, on reçut de Moscou la nouvelle que Sacha était tombé gravement malade, qu’il était presque mourant. La princesse décida de partir dès le lendemain. Cela était arrivé si vite que j’ignorai tout jusqu’au moment de dire adieu à Catherine. C’est le prince qui avait insisté pour que nous nous disions adieu ; la princesse n’y voulait pas consentir.

Je courus en bas, hors de moi, et me jetai à son cou.

La voiture attendait déjà près du perron. Catherine poussa un cri en m’apercevant et tomba sans connaissance.

Je m’élançai pour l’embrasser. La princesse se mit à secouer Catherine, qui revint à elle et m’embrassa.

— Adieu, Niétotchka, me dit-elle tout d’un coup en riant, avec une expression extraordinaire. Ne me regarde pas ainsi. Je ne suis pas malade. Dans un mois je serai de retour ; alors nous ne nous séparerons plus.

— Assez, dit la princesse froidement. Partons.

La petite princesse se retourna encore une fois et me serra dans ses bras.

— Ma vie ! chuchota-t-elle en m’embrassant. Au revoir !

Nous nous embrassâmes pour la dernière fois, puis nous nous séparâmes.

Ce devait être pour longtemps, pour très longtemps. Huit années s’écoulèrent jusqu’à notre prochaine rencontre.

J’ai raconté exprès avec force détails cet épisode de mon enfance, la première apparition de Catherine dans ma vie, car