Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/142

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des impressions nouvelles, bizarres, que je n’avais encore jamais éprouvées, m’assaillaient. Je sentais comme quelque chose s’échapper de ma poitrine ; l’angoisse qui remplissait mon cœur disparaissait tout d’un coup, faisant place à quelque chose de nouveau dont je ne savais pas si je devais m’attrister ou me réjouir. Maintenant j’étais comme quelqu’un qui, pour toujours, quitte sa maison, sa vie, jusqu’à ce jour calme, sans nuages, afin d’entreprendre un voyage lointain, inconnu. Pour la dernière fois il regarde autour de lui, en disant mentalement adieu à son passé, cependant qu’un triste pressentiment de l’avenir peut-être sévère, hostile, qui l’attend, s’éveille en son cœur.

Enfin des sanglots convulsifs s’échappèrent de ma poitrine. J’avais besoin de voir, d’entendre quelqu’un, d’embrasser fort, très fort. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas maintenant rester seule. Je courus chez Alexandra Mikhaïlovna et demeurai avec elle toute la soirée. Nous étions seules. Je la priai de ne pas jouer, et, refusai de chanter malgré sa demande. Tout m’était devenu soudain douloureux et je ne pouvais m’arrêter à rien. Il me semble que nous avons pleuré. Je me rappelle seulement que je lui faisais peur. Elle m’exhortait à me calmer, à ne pas me troubler. Elle m’observait anxieusement, me disant que j’étais malade, que je ne devais pas me surmener. Enfin, je la quittai toute bouleversée. J’étais comme en délire et me couchai avec la fièvre. Quelques jours se passèrent avant que je me fusse ressaisie, avant que j’eusse pu voir plus clairement ma situation.

DOSTOIEVSKI.

Traduit du russe par J.-W. BIENSTOCK.

(A suivre.)