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NIÉTOTCHKA NEZVANOVA


(Suite)


VII (suite)

À cette époque nous vivions toutes deux, Alexandra Mikhaïlovna et moi, tout à fait isolées. Piotr Alexandrovitch n’était pas à Pétersbourg. Il avait été appelé pour affaire à Moscou, où il passa trois semaines. Malgré le peu de durée de cette séparation, Alexandra Mikhaïlovna était tombée dans une tristesse effrayante. Parfois elle devenait plus calme, mais s’enfermait seule, car j’étais moi-même un fardeau pour elle. En outre, je recherchais aussi la solitude. Ma tête pleine de brouillard travaillait comme dans un état maladif. Parfois, il me semblait que quelqu’un me raillait doucement, que quelque chose était entré en moi qui me troublait et empoisonnait chacune de mes pensées. Je ne pouvais pas me débarrasser des images pénibles qui paraissaient à chaque instant devant moi et ne me laissaient pas de repos. Je me représentais une souffrance longue, sans issue, le martyre, le sacrifice supporté douloureusement et inutilement. Il me semblait que celui pour qui s’accomplissait ce sacrifice le méprisait et le raillait. Il me semblait voir un criminel pardonner à un juste ses péchés, et mon cœur se déchirait. En même temps, je voulais de toutes mes forces me débarrasser de mon soupçon. Je le maudissais, je me haïssais, parce que mes convictions n’étaient en somme que des pressentiments, parce que je ne pouvais pas justifier mes impressions devant ma conscience. Ensuite j’analysais dans mon esprit certaines phrases, ce dernier cri du terrible adieu. Je me représentais cet homme,