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Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/156

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Je les lui amenai. Elle avait l’air de se reposer en les regardant. Au bout d’une heure, elle les laissa partir.

— Quand je mourrai, tu ne les abandonneras pas, Annette, me dit-elle à voix basse comme si elle craignait qu’on ne nous écoutât.

— Assez, vous me tuerez !

Je ne trouvais rien de plus à répondre.

— Je plaisantais, dit-elle après un court silence, et en souriant elle ajouta : Et toi, tu l’as cru ? Parfois je dis Dieu sait quoi. Je suis maintenant comme une enfant ; il faut tout me pardonner…

Elle me regarda timidement comme si elle avait peur de prononcer quelque chose. Ce quelque chose, je l’attendais.

— Prends garde… Ne l’effraye pas, dit-elle enfin, les yeux baissés, une légère rougeur sur son visage, et si bas que je l’entendais à peine.

— Qui ? demandai-je étonnée.

— Mon mari… Peut-être lui raconteras-tu tout…

— Pourquoi ? Pourquoi ? répétai-je de plus en plus étonnée.

— Non, ce n’est rien, assez ; je plaisantais…..

Mon cœur se serrait de plus en plus.

— Seulement, écoute, tu les aimeras quand je serai morte, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle sérieusement et de nouveau d’un air mystérieux. Tu les aimeras comme tu aimerais tes propres enfants. Rappelle-toi que je t’ai toujours regardée comme ma fille et n’ai fait aucune différence entre toi et les miens.

— Oui, oui, répondis-je, ne sachant ce que je disais, étouffée par les larmes et l’angoisse.

Un baiser brûlant sur ma main me surprit avant que j’aie eu le temps de la retirer.

« Qu’a-t-elle ? Que pense-t-elle ? Qu’y a-t-il eu hier entre eux ? » me passa-t-il en tête.

Un instant après elle se plaignit de la fatigue.

— Je suis malade déjà depuis longtemps, seulement je ne voulais pas vous effrayer, vous deux, dit-elle. Vous deux m’aimez, n’est-ce pas ? Au revoir, Niétotchka, laisse-moi. Seulement, ce soir, ne manque pas de venir. Tu viendras ?

Je le lui promis, mais j’étais heureuse de m’en aller, je n’en pouvais supporter davantage. La pauvre ! la pauvre ! Cette longue souffrance que je connaissais maintenant toute,