Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/155

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coupable, mais moi. Pardonne-moi donc cette question, et aussi pardonne-moi si, involontairement, je n’ai pas tenu toutes les promesses que j’avais faites à toi et à mon père quand je t’ai prise avec moi. Cela m’a souvent inquiétée, ma chérie.

Je l’embrassai et pleurai.

— Je vous remercie, je vous remercie pour tout ! dis-je, mais ne parlez pas ainsi. Vous avez été pour moi plus qu’une mère. Que Dieu vous bénisse pour tout ce que vous deux, vous et le prince, avez fait pour moi, pauvre abandonnée. Ma chérie, ma chérie !

— Assez, Niétotchka, assez ! Embrasse-moi, comme ça, très fort ! Vois-tu, Dieu sait pourquoi, mais il me semble que c’est pour la dernière fois que tu m’embrasses.

— Non, non ! m’écriai-je en sanglotant comme une enfant. Non, cela ne sera pas. Vous serez heureuse. Croyez-moi, nous serons heureux.

— Je te remercie de m’aimer ainsi. Maintenant près de moi il y a peu de gens qui m’aiment. Tous m’ont abandonnée.

— Qui vous a abandonnée ? Lesquels ?

— Autrefois il y avait d’autres personnes auprès de moi… Tu ne sais pas, Niétotchka… Ils m’ont tous abandonnée… Tous se sont évanouis comme des visions… Et je les ai tellement attendus… Toute ma vie je les ai attendus… Regarde, Niétotchka, tu vois quel sombre automne, bientôt il neigera, et, avec la première neige, je mourrais. Oui… Mais je ne suis pas triste… Adieu…

Son visage était pâle et maigre, ses joues étaient rouges, ses lèvres tremblaient, un feu intérieur les desséchait.

Elle s’approcha du piano, et prit quelques accords. À ce moment une corde se cassa et s’éteignit dans un son tremblant et prolongé.

— Tu entends, Niétotchka, tu entends, dit-elle tout d’un coup d’une voix inspirée, en indiquant le piano. Cette corde était trop tendue, elle n’a pu le supporter et elle s’est brisée… Tu entends comme le son s’éteint plaintivement !…

Elle parlait avec difficulté. Le mal sourd, intérieur, se reflétait sur son visage. Ses yeux se remplirent de larmes.

— Eh bien, Niétotchka, assez, mon amie, assez. Amène les enfants.