Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/18

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un violon, répondit Efimov. Ma femme est une cuisinière, une femme grossière, que le diable l’emporte ! Nous ne faisons que nous battre, voilà tout !

— « Mais pourquoi t’es-tu marié, si c’est ainsi ?

— « Je n’avais pas de quoi manger. J’ai fait sa connaissance. Elle avait un millier de roubles ; je me suis marié, j’ai perdu la tête… C’est elle qui s’est amourachée de moi… Elle s’est pendue à mon cou… Qui l’a poussée ?… L’argent a été bu, mon cher. Quel talent ! et tout est perdu !… »

B… remarqua qu’Efimov semblait soucieux de se justifier devant lui de quelque chose.

« J’ai tout abandonné, tout quitté », ajouta-t-il ; puis il lui déclara que les derniers temps il avait presque atteint la perfection sur le violon, et que lui, B…, bien que l’un des premiers violonistes de la ville, ne lui arriverait pas à la cheville, si lui, Efimov, le voulait.

« Alors qu’est-ce que cela signifie ? demanda B… étonné. Tu aurais dû chercher une place.

« À quoi bon ! dit-il avec un geste de la main. Qui de vous comprend quelque chose ? Qu’est-ce que vous savez ? Rien. Voilà ce que vous savez. Jouer une danse, dans un ballet, ça, c’est votre affaire. Vous n’avez jamais vu, ni entendu un bon violoniste. Ce n’est pas la peine de vous toucher ; restez ce que vous êtes.

Efimov eut encore un geste de la main et se mit à se balancer sur sa chaise : il était déjà gris ; puis il invita B… à l’accompagner chez lui. B… refusa, mais prit son adresse et promit de passer le voir le lendemain. Efimov, maintenant rassasié, regardait ironiquement son ancien camarade et s’appliquait par tous les moyens à le mortifier. En partant, il prit la riche pelisse de B… et la lui tendit comme un valet à son maître. En traversant la première salle, il s’arrêta et présenta B… au cabaretier et au public comme le premier et unique violon de la capitale. En un mot, il se comporta en parfait butor.

Cependant B… alla le voir le lendemain matin dans le galetas où nous vivions alors, tous dans une chambre unique, et dans une sombre misère. J’avais alors quatre ans ; il y avait déjà deux ans que ma mère avait épousé en secondes noces Efimov. Ma mère était une femme très malheureuse. Autrefois elle