avait été gouvernante ; elle était très instruite, jolie, mais sa grande pauvreté lui avait fait épouser un vieux fonctionnaire, mon père. Elle ne vécut avec lui qu’une année ; mon père mourut subitement, et quand son maigre héritage eut été partagé entre ses héritiers, ma mère resta seule avec moi et une petite somme d’argent qui composait sa part. Se placer de nouveau comme gouvernante, avec un enfant sur les bras, était chose difficile. C’est à ce moment que, je ne sais par quel hasard, elle rencontra Efimov, et qu’effectivement elle s’amouracha de lui. Elle était enthousiaste et rêveuse, elle vit en Efimov un génie ; elle crut en ses paroles orgueilleuses sur son brillant avenir. Son imagination était flattée de la perspective enviée de devenir le guide, l’appui d’un homme de génie. Elle l’épousa. Dès le premier mois, tous ses rêves, tous ses espoirs s’évanouirent et devant elle il n’y eut plus que la misérable réalité. Efimov qui, peut-être, en effet, s’était marié parce que ma mère possédait un millier de roubles, une fois ceux-ci dépensés, cessa de travailler, et, comme s’il était heureux du prétexte, il déclara aussitôt à tous et à chacun que le mariage avait tué son talent, qu’il lui était impossible de travailler dans une chambre étouffante, avec devant lui une famille affamée, que l’inspiration ne lui viendrait jamais dans un tel milieu, et qu’enfin un tel malheur pour lui était évidemment de la fatalité. Il paraît que lui-même avait fini par croire à la légitimité de ses plaintes et semblait content d’avoir cette excuse. Ce malheureux talent gâché cherchait une raison extérieure à laquelle pouvoir imputer toutes ses misères. Mais il ne pouvait pas se faire à l’idée terrible que depuis longtemps et pour toujours il était perdu pour l’art. Il luttait passionnément, comme dans un cauchemar maladif, contre cette affreuse conviction. Et quand, vaincu par la réalité, ses yeux, par moments, s’ouvraient, il se sentait près de devenir fou d’épouvante. Il ne pouvait renoncer sans déchirement à ce qui, pendant si longtemps, avait été toute sa vie, et jusqu’à sa dernière heure il s’imagina que son talent n’était pas encore tout à fait mort. Pendant ses heures de doute, il s’adonnait à la boisson, qui chassait son angoisse. Enfin, à cette époque, peut-être ne savait-il pas lui-même combien cette femme lui était précisément nécessaire. Elle était son prétexte vivant, et, en effet, mon beau-père faillit devenir fou à l’idée
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