Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/2

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rai à faire remarquer que le roman Netotchka, présenté par M. Halpérine-Kaminsky, ne donne guère plus de la moitié de l’œuvre de Dostoievski ; mais que par contre ce traducteur a jugé à propos de mettre des noms où Dostoievski n’avait mis que des initiales (ainsi le musicien B…, dans les Étapes de la folie, s’appelle Bouvarov, et devient Berner, dans Netotchka) et de compléter le roman de Dostoievski par cette conclusion de son crû :

« Deux ans après, grâce à un travail acharné et à la protection du prince X… j’arrivai à entrer au grand opéra de Pétersbourg, et j’y obtins les succès les plus flatteurs dès le début de ma carrière.

« Je ne revis jamais Katia. Six mois après les terribles événements que je viens de raconter, elle avait épousé un consul ; et depuis elle vit constamment à l’étranger. »

Ainsi le public français, qui croit connaître trois romans de Dostoievski, connaît en réalité trois « œuvres » de M. Halpérine-Kaminsky, tandis qu’il ignore le roman de Dostoievski Niétotchka Nezvanova. C’est pourquoi nous donnons ici la traduction complète de cet ouvrage[1]. — J.-W. B.]


I

Je ne me rappelle pas mon père ; il mourut quand j’avais deux ans. Ma mère se remaria. Ce second mariage, quoique contracté par amour, fut pour elle la source de bien des douleurs. Mon beau-père était musicien… Sa destinée fut des plus extraordinaires. C’était l’homme le plus étrange et le plus délicieux que j’aie jamais connu. Son influence sur mes premières impressions d’enfant a été si forte qu’elle a marqué de son empreinte toute ma vie. Pour que mon récit soit compréhensible, je commencerai, tout d’abord, par donner sa biographie. Tout ce que je dirai de lui, je l’ai appris plus tard, par le célèbre violoniste B… qui fut le camarade et l’ami très intime de mon beau-père, dans sa jeunesse.

Mon beau-père s’appelait Efimov. Il était né dans un village appartenant à un opulent propriétaire. Il était le fils d’un très pauvre musicien qui, après de longs voyages, s’était fixé sur les terres de ce propriétaire et s’était engagé dans son orchestre. Ce propriétaire, qui vivait très luxueusement, aimait par-dessus tout et passionnément la musique.

On raconte que cet homme qui ne quittait jamais ses terres, même pour aller à Moscou, décida tout à coup, un jour, de se

  1. Publié pour la première fois en langue russe dans la Revue Otiétchestvennïa Zapiskï (les Annales de la Patrie), année 1849, nos 62-64.