Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/78

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Pas de doute. C’était le même cri ! Je le reconnaissais, je l’avais entendu déjà, cette nuit, quand il avait ébranlé mon âme ! « Père, père ! » Cela passa comme un éclair dans ma tête. « Il est ici. C’est lui ! Il m’appelle ! C’est son violon ! » De toute cette foule sortit comme un gémissement, et des applaudissements frénétiques secouèrent la salle. Un sanglot désespéré, saccadé, s’échappa de ma poitrine. Je n’en pouvais supporter davantage et, écartant le rideau, je m’élançai dans la salle.

— « Père ! père ! C’est toi ! Où es-tu ? » m’écriais-je hors de moi.

Je ne sais pas comment je courus jusqu’au grand vieillard. On me laissait le passage, en s’écartant devant moi. Je me jetai sur lui avec un cri terrible. Je croyais embrasser mon père… Soudain, je me vis saisir par deux longues mains osseuses qui me soulevèrent. Des yeux noirs se fixaient sur moi, paraissant vouloir me brûler de leur flamme. Je regardai le vieillard. Non, ce n’était pas mon père… « C’est son assassin ! » Cette pensée me courut par la tête. Une rage infernale me saisit, et soudain il me sembla qu’un rire éclatait sur moi et que ce rire se répercutait dans la salle en un rire général. Je perdis connaissance.


V


Ce fut la deuxième et dernière période de ma maladie.

Quand je rouvris les yeux, j’aperçus un visage d’enfant qui se penchait vers moi. C’était une fillette de mon âge et mon premier mouvement fut de lui tendre la main. Au premier regard jeté sur elle, toute mon âme se remplit de bonheur, d’un doux pressentiment. Imaginez un visage idéalement agréable et d’une beauté remarquable, de ces visages devant lesquels on s’arrête soudain, saisi à la fois d’étonnement, d’enthousiasme et de reconnaissance qu’une telle beauté existe, qu’elle ait passé près de vous, qu’on ait pu la contempler.

C’était la fille du prince, Catherine, qui venait de rentrer de Moscou. Elle sourit à mon mouvement et mes faibles nerfs se calmèrent aussitôt. La petite princesse appela son père, qui était à deux pas de là et causait avec le docteur.

— « Eh bien, Dieu soit loué, Dieu soit loué ! » dit le prince en me prenant la main, et son visage brilla d’une joie sincère. « Je suis heureux, très heureux », continua-t-il, parlant vite