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Page:Dottin - Louis Eunius.pdf/23

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INTRODUCTION.

soufre et rempli de démons. Sur le fleuve était un pont[1]. « Il faut que tu le passes », lui dirent les diables, « et nous mettrons en mouvement vents et tourbillons qui te projetteront dans le fleuve, et nos compagnons te plongeront dans l’enfer ». Le pont était glissant, étroit, grêle, très haut dans l’air. Le soldat s’y engagea courageusement ; il trouva le pont ferme sous ses pieds et, plus il montait, plus le pont s’élargissait, en sorte qu’au bout de très peu de temps il aurait pu recevoir quinze chars de front. Les démons, qui ne pouvaient pas aller plus loin, se tenaient au pied du pont, guettant sa chute. En le voyant traverser librement, ils remplirent l’air de leurs clameurs ; ils jetèrent après lui leurs crocs. Owen allait toujours et la largeur du pont croissait au point que l’on n’en voyait plus les bords.

Alors le soldat continua à s’avancer jusqu’à ce qu’il vit un grand mur qui montait du sol dans l’air, mur d’une belle structure, où brillait une porte de divers métaux ornée de pierres précieuses. Comme il en était encore à un demi-mille, la porte s’ouvrit et une odeur se répandit, plus suave que tous les aromates du monde. Et comme il attendait à pénétrer par la porte plus brillante que le soleil, une procession en sortit avec des croix, des bannières, des rameaux de palmes d’or, telle qu’on n’en avait jamais vu. Il y avait là des gens de toute classe, de tout âge, des deux sexes, des archevêques, des évêques, des abbés, des moines, des chanoines, des prêtres et des clercs revêtus des habits de leur ordre ; tous, tant clercs que laïcs, portaient les vêtements sous lesquels ils avaient servi Dieu dans le monde. Tous accueillirent Owen avec joie et vénération pendant que retentissait un concert d’une harmonie inouïe. La porte franchie, la procession se rompit et deux hommes qui semblaient des évêques emmenèrent le soldat pour lui montrer les merveilles de leur patrie ; la lumière y était si pure que le soleil n’y aurait pas plus brillé qu’une lampe ; ce n’étaient que prés verdoyants, fleurs et fruits variés, et arbres merveilleux ; une multitude d’hommes et de femmes s’y promenaient et pre-

  1. O’Connor, St. Patrick’s Purgatory. p. 91, pense que c’est tout simplement le pont de planches entre Saints’ Island et la terre ferme qui a donné l’idée de cet épisode. Mais le pont des âmes est connu dans les traditions des Perses (le pont Cinvat), des Musulmans (ai sirât), des Irlandais païens, dans le Tochmarc Emere (El. Hull, The Cuchullin Saga in Irish literature, London, 1899, p. 56), Immram Mail Duin, 17 (Revue celtique, t. IX, p. 488). On le trouve fréquemment dans la littérature chrétienne des visions : Fis Adamnain, § 22 (Windisch, Irische Texte, t. I, p. 184), saint Grégoire, Dialogues, IV, 36 (Migne, t. LXXVII, p. 383), Visio-n de Tundale, 4 (éd. Friedel et Kuno Meyer, Paris, 1907, p. 16, 98), Vision de Paul (Anecdota oxoniensia, mediaeval and modem sériés, t. VI, Oxford, 1894, p. 235C. S. Boswell, An Irish Precursor o{ Dante, London, 1908, p. 38-39, 71, 111, 131, 132, 139, 216, 231.