Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/88

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restreint. Chez les Grecs, il y a ce que l’on appelle les vers dorés ; chez les Romains, le poème de Lucrèce ; et en France, je crois bien que les vers d’Alfred de Vigny sont le premier modèle que nous en ayons, modèle resté presque unique.

Comment procède Alfred de Vigny ? Alfred de Vigny essaie de trouver, pour une conception abstraite, un beau symbole qui exprime cette conception abstraite, mais qui a par lui-même son intérêt, son développement, sa vie indépendante. Je prends un exemple, je l’emprunte au poème d’Éloa, qui est un des premiers en date d’Alfred de Vigny et l’un de ceux sur qui repose le plus sûrement sa réputation. L’idée philosophique est la suivante, à savoir que la pitié est vertu souveraine, mais que la pitié doit s’appliquer à la forme de la souffrance qui est vraiment la plus douloureuse. Or, quelle est la forme de la souffrance qui mérite le plus de nous apitoyer ? Il y en a une qui est plus grave, plus terrible que la souffrance physique : c’est la souffrance morale. Le péché est quelque chose de pire que la souffrance qui ne nous torture que dans notre chair. Par conséquent, la pitié doit s’adresser au pécheur ; et au pécheur, pourquoi ? justement parce qu’il est le pécheur. On doit l’aimer, parce qu’il fait mal, parce qu’il est plus à plaindre, à la fin, qu’un autre. Voilà l’idée ; voici comment Alfred de Vigny va la traduire, — c’est un beau symbole. Il imagine que lorsque le Christ fut appelé auprès de Lazare, il laissa dans son chemin tomber une larme. Cette larme fut recueillie par les séraphins dans une