Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/89

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urne d’albâtre et portée jusqu’au pied du trône de Dieu le Père. Dieu le Père, d’un regard, anima cette larme, et cette larme du Christ devint Éloa, la sœur des anges. Au ciel, au paradis, Éloa entendit parler de l’ange déchu et elle prit pitié de lui : elle l’aima, justement parce qu’il était déchu. Elle voulut le voir, le connaître, descendit jusque dans l’empire de l’ange déchu et se perdit avec lui. Voilà le symbole à côté de l’idée ; voilà l’idée abstraite, traduite sous une forme concrète, matérielle et vivante.

Alfred de Vigny s’est servi de ce procédé pour mettre en vers, dans une série de pièces composant le recueil des Destinées, une philosophie qui lui est particulière. Cette philosophie est l’une des plus sombres, l’une des plus tristes qui se puissent imaginer. Mais vous allez voir en quoi cette tristesse de l’œuvre d’Alfred de Vigny diffère, par exemple, de la tristesse que nous notions hier dans l’œuvre d’Alfred de Musset.

Alfred de Musset était triste. Pourquoi ? Parce qu’il avait souffert personnellement, en lui-même, pour lui-même. Chez Alfred de Vigny, la tristesse est le résultat, la conclusion d’un raisonnement : c’est un sytème qui, d’après Alfred de Vigny, vaut non pas pour le poète, lui seul, mais pour tous les hommes. Ce système est éminemment un système pessimiste. Vigny pense que nous sommes malheureux ; malheureux, non par suite de tel accident particulier, mais malheureux d’une façon générale, par une nécessité de notre condition. parce que nous sommes des hommes. Nous sommes malheureux, condamnés au malheur ; et non seu-