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les apprentis de l’armurier

ment conspué, réalisant une fois de plus ces vers d’une vieille chanson :

Le page tua le sanglier,
Et son seigneur en eut la gloire.

Gaultier, heureux d’avoir sauvé l’honneur de son maître, n’essaya pas de se justifier ; mais il s’efforça de vaincre les terreurs du jeune comte.

— Tu t’es trompé, mon féal, répondit majestueusement celui-ci : je ne me sauvais pas, j’opérais un mouvement tournant, et, dans une autre occasion, je t’ordonne absolument de me suivre ; j’ai mes raisons.

Et il se grattait le nez avec rage, indice de quelque malicieuse invention.

— Voilà Guy qui prépare quelque bon tour, disaient jadis ses camarades, devant ce geste familier que le gentilhomme avait conservé de l’apprenti.

Gaultier accepta la mercuriale comme les sarcasmes des railleurs.

Il avait naturellement le mépris des foules, et, bien que poli et bienveillant, il n’eût certainement pas montré la familiarité bon enfant de son jeune maître à l’égard de ses sujets.

Aussi était-il assez mal vu des autres serviteurs, qui taxaient volontiers de dédain ce qui n’était que simple indifférence.

Un seul lui inspirait une certaine sympathie : c’était l’esclave Kadour.

Dans ce pauvre être, séparé des siens, éloigné de sa patrie, condamné à un éternel silence, bafoué par les uns, repoussé par les autres, traité de « chien » par tous, sa généreuse pitié voyait un homme.