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carême

autour d’un géant à l’air formidable, qui brandissait un cimeterre, mais conservait difficilement son centre de gravité, ce qui nuisait à sa haute dignité.

Là, c’était une troupe de sauvages, portant des torches, oublieux déjà de la terrible catastrophe du bal des Ardents, si récente encore cependant, qui avait coûté la vie à trois beaux gentilshommes, et au pauvre roi sa dernière lueur de raison.

Puis, la multitude des bateleurs, des escholiers, des astrologues, nécromans en bonnets pointus et robes constellées d’étoiles et de signes cabalistiques.

On rencontrait aussi des mines moins rassurantes : c’étaient des gens d’armes, ayant comme devise le bâton noueux d’Orléans avec ces mots : « Je porte défi ! » à quoi les Bourguignons ripostaient par un rabot avec ces mots : « Je le tiens ! »

Mais l’on en restait à ces provocations muettes, car le vent soufflait à la paix…

Le duc de Berry venait de réconcilier ses deux neveux : ils avaient communié ensemble, à la vue du peuple ; s’étaient promis amour et pardon, avaient dîné à la même table, couché dans le même lit.

Et les Parisiens étaient en liesse, espérant la fin de toutes ces discordes…

Carême se frayait difficilement un passage à travers cette foule bigarrée. Arrivé au pont. Notre-Dame, il s’arrêta un instant et posa sa manne sur une borne pour reprendre haleine.

Était-ce le bruit étourdissant, la fatigue, la faim, l’air vif, ou le soleil brûlant de ce premier jour de mars ?…

Peut-être tout cela combiné ; mais soudain une sorte d engourdissement le saisit, paralysant ses membres, sa volonté, et il glissa évanoui sur le sol…