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les marrons du feu

« Prends garde, murmurait une autre voix, elle est bien jeune, elle-même peut se tromper sur ses sentiments, prendre la reconnaissance pour l’inclination et faire son malheur. Tu es son tuteur, son père, c’est à toi d’y veiller… Défie-toi des pensées égoïstes et lâches, oublie que tu l’aimes, et ne songe pas à ton bonheur, mais au sien… »


✽ ✽

« Me voilà, bon ami, je n’ai pas été longue. »

Elle était ravissante dans sa simple toilette, le sourire aux lèvres, l’air radieux.

Ils s’en allèrent, bras dessus, bras dessous ; les bonnes gens les saluaient, disant : « Voilà monsieur Levers et sa demoiselle… »

Ces mots amenèrent un nuage sur le front de l’artiste, mais il disparut bien vite au gai babil de sa compagne.

Elle était toute joyeuse ce matin-là, et Levers, qui l’observait à la dérobée, ne l’avait jamais trouvée si jolie, si expansive, si confiante.

Elle trouvait des phrases exquises pour lui dire la gratitude qui débordait de son cœur ; elle semblait mesurer pour la première fois ce qu’elle devait à l’homme généreux qui l’avait recueillie, pauvre orpheline, au chevet de sa grand’mère morte et l’avait comblée de bienfaits.

Et, dans l’effusion de sa reconnaissance, elle lui prit les mains, dans un élan involontaire, en s’écriant tout émue, les yeux mouillés de douces larmes :

« Oh ! bon ami, que vous êtes bon ! et que je vous aime !

— Mais, moi aussi, Madeleine, je t’aime », répondit-il, très troublé.

Elle le regarda, surprise de l’altération de sa voix…

« Bonjour, monsieur Levers ; bonjour, Madeleine. »