Page:Dourliac - Les apprentis de l'armurier, 1895.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
les apprentis de l’armurier

— Non, je suis sage. Foin de l’ambition ! Au diable la grandeur ! Je n’aime déjà guère le métier d’armurier ; j’aimerais encore moins celui des armes.

— Ce n’est pas sérieux ! Tu ne peux renoncer à ton droit, à ton rang ; tu es gentilhomme ; l’égal de notre comte Raymond Béranger, dont tu ramassais la bourse dans la poussière.

— Je n’en aurai plus besoin, si j’en juge par le poids de celle-ci. Vive Dieu ! voilà le plus clair de mon héritage, et si je trouve là-dedans de quoi m’établir, succéder à maître Lansac et épouser sa fille, si mignonne et si gentille, je bornerai là mes projets ambitieux.

En vain Gaultier déploya-t-il toute son éloquence pour amener son ami à des pensées plus dignes de sa haute position : le gros garçon ne lui répondit que par un bâillement prolongé, et lui déclarant que Sa Seigneurie allait se coucher, l’invita à aller en faire autant.

Au fond, il enrageait, le brave Guy ; il traitait de maladroite la fortune qui plaçait sur sa tête une couronne qui lui semblait si bien convenir à son frère.

— Enfin, pensait-il en s’endormant, ce qui me console, c’est que la Bohémienne nous a promis le même sort ; si sa prédiction se réalise pour moi, elle se réalisera aussi pour lui.

Au point du jour, Gaultier, qui ne dormait pas, se glissa sans bruit hors de son lit, et, tirant les rideaux sur son ami, sortit de la maison silencieuse.

Il avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées, et, tout en humant l’air frais du matin, il songeait au moyen de vaincre une résistance qu’il attribuait à un sentiment de générosité et d’abnégation fraternelles.

— Je n’accepterai pas ce sacrifice, pensait le noble enfant ;