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Page:Dourliac - Les apprentis de l'armurier, 1895.djvu/89

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les apprentis de l’armurier

propreté inconnus chez les Provençaux et qui rappelaient aux orphelins le logis de leur grand’mère.

En passant dans la salle où les attendait un copieux souper, cette impression fut encore plus vive. Tout, dans l’ameublement du riche bourgeois, dans l’arrangement des détails, évoquait le souvenir de la vieille Flamande.

Guy ne put s’empêcher d’en faire la réflexion.

— Cela n’a rien d’étonnant, répondit tranquillement maître Pierre, ma défunte femme était née à Bruges, comme votre aïeule, et c’est elle qui a ainsi ordonnancé ma maison, suivant la tradition flamande.

L’explication était fort plausible, et Guy n’y trouva rien à répondre.

D’ailleurs, sous la double influence de la fatigue et des rasades de vin fumant que leur versait généreusement leur hôte, une sorte d’engourdissement s’emparait des deux amis ; derrière leurs paupières alourdies, les images devenaient confuses ; le passé et le présent se confondaient dans leur esprit obscurci ; ils se croyaient encore à Aix, chez dame Véronique, qui les regardait en souriant ; puis la figure de la bonne vieille s’effaçait…, se transformait en celle d’un bourgeois goguenard, dont l’air railleur les exaspéra si fort qu’ils firent un violent effort pour s’élancer sur lui.

Mais des liens invisibles les clouèrent au sol ; ils ne purent faire un mouvement ; leur tête, lourde comme du plomb, retomba sur leur poitrine et ils s’endormirent à poings fermés.