Page:Doyle - Je sais tout.djvu/18

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dépêches que vous avez été blessé ; cela fera comprendre à votre directeur pourquoi vous n’avez pas câblé. Si par hasard vous rencontrez les correspondants de Router ou des journaux du soir, pas un mot n’est-ce pas ? Abbas vous gardera. Nous serons de retour demain après-midi. Au revoir et bonne chance !

Anesley n’eut pas la force de répondre, mais il se rendit compte que la chance lui avait été offerte de se créer un nom parmi les plus grands reporters et que cette chance lui échappait. En réalité il avait assisté à une simple escarmouche, mais c’était la première de la guerre. Le public de la métropole attendait les nouvelles avec une impatience fébrile ; les lecteurs du Courrier, de l’Intelligence seraient donc les premiers à les recevoir et les colonnes de la Gazette resteraient vides !

Cette pensée lui donna l’énergie de se relever ce qu’il fit à grand’peine.

De suite son regard fut attiré par le cadavre du géant noir étendu sur le sol, la poitrine trouée ; les mouches du désert étaient déjà venues en masses profondes s’abattre sur les plaies. À quelques yards plus loin gisait le corps de l’Arabe, les deux mains encore croisées sur un amas informe et sanglant qui avait été sa tête, tandis que sa poitrine supportait le poids du fusil d’Anesley.


MALGRÉ SA BLESSURE, ANESLEY VEUT ACCOMPLIR SON DEVOIR.


— Sidi Scott, fusillé lui avec fusil de vous !… fit la voix d’Abba.

Portant la main à sa tête, Anesley sentit un mouchoir humide qui lui serrait le front.

— Où sont donc les deux autres derviches, demanda-t-il.

— Ils se sont enfuis. Il y en a un dont le bras a été cassé par un coup de feu.

— Et à moi, que m’est-il arrivé ?

— Sidi a reçu coup couteau tête. Sidi a pris le méchant homme par le bras, et Sidi Scott a fait feu ; Sidi a visage très brûlé.

Anesley éprouvait sur la peau une sensation de brûlure en même temps que son odorat était frappé par l’odeur de cheveux roussis. Il porta la main à sa moustache ; elle n’existait plus. Ses sourcils avaient également disparu. Sans doute au moment où il roulait à terre avec le derviche, son visage s’était trouvé très près de la tête de celui-ci.

Il s’avoua que sa situation était bien précaire. Il ne lui restait que son méchant petit poney gris de Syrie qui se tenait la tête basse. Quel espoir pouvait lui rester d’accomplir un trajet, de trente-cinq milles, qui devait être parcouru à grande vitesse, sur une monture en pareil état ? Mais, au fait, pensa-t-il, il connaissait des animaux, qui valaient encore mieux à son point de vue ; c’étaient les chameaux de course. Il se rappela l’affirmation de Mortimer que, pour une distance supérieure à trente milles, les chameaux valaient infiniment mieux que tous les chevaux. Si seulement il pouvait trouver un chameau de course !

Tout à coup, une nouvelle phrase de Mortimer lui revint à la mémoire ; oui, les derviches, quand ils ont des raids à accomplir, sont toujours montés sur des chameaux de courses !

Quelles étaient donc les montures dont s’étaient servis les derviches dont les cadavres étaient là étendus ? En un instant il avait escaladé les roches malgré les protestations d’Abbas qui le suivait sur les talons. Quelle fut sa joie, quand il vit se lever le cou blanc et allongé, la tête élégante d’un chameau tel qu’il n’en avait jamais vu auparavant.

La bête était agenouillée auprès des rochers, ayant encore sur les épaules son outre d’eau d’un côté et de l’autre son sac de provende ; ses genoux, suivant la mode arabe, étaient liés par une corde. Anesley, sans hésiter, sautait en selle, tandis qu’Abbas faisait glisser la corde. Le jeune homme après avoir été projeté successivement en avant et en arrière, s’être raccroché du mieux qu’il pouvait à sa monture, recouvra son assiette dès que le chameau se fut levé ; enfin il était solidement assis sur le coursier le plus rapide du désert. Il resta sur place pendant quelques instants : la bête était aussi douce que rapide. Enfin de son bâton, il toucha l’encolure oscillante, et un instant après il entendit les adieux d’Abbas qui semblaient venir de très loin en arrière.

C’était sa première expérience du chameau de course, et les réactions, bien que brusques et irrégulières, n’eurent, au début rien de désagréable. N’ayant ni étriers, ni aucun point fixe pour appuyer ses pieds, il ne pouvait suivre les réactions, mais il serrait sa monture de toutes les forces de ses genoux, penchant le corps successivement en avant et en arrière comme il l’avait souvent vu faire aux Arabes.