Aller au contenu

Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ces espèces géantes ; mais nos savants désignaient les cèdres, les fromagers, les érythroxyles, toute l’infinie variété d’arbres et de plantes diverses qui ont fait de ce continent le plus gros fournisseur du monde pour les produits d’origine végétale, tandis qu’il en est le moindre pour les produits animaux. Des orchidées éclatantes, des lichens merveilleusement colorés, s’allumaient par endroits sur une souche noire ; en d’autres places, un hasard de féerie semblait diriger sur l’amalanda doré, sur le taxonia aux étoiles écarlates, sur le bleu si riche et si profond de l’ipomée, un trait de lumière vagabonde. Dans ces vastes étendues de forêts, la vie, qui a horreur du noir, s’efforce toujours vers la hauteur et la clarté ; il n’y a pas jusqu’aux plus petites des plantes qui, pour y parvenir, ne demandent l’appui fraternel de plus grandes, auxquelles elles s’agrafent et s’entortillent. Celles qui grimpent sont monstrueuses. Celles qui, ailleurs, n’ont jamais quitté le sol, apprennent ici l’art de monter pour échapper à l’ombre ; c’est ainsi que l’on peut voir l’ortie commune, le jasmin et même le palmier jacitara enlacer les tiges des cèdres et se pousser vers leurs cimes. Aucun mouvement animal ne troublait autour de nous la paix religieuse des bas-côtés de verdure ; mais cependant que nous cheminions, une continuelle agitation au-dessus de nos têtes trahissait le peuple innombrable de serpents, de singes, d’oiseaux, de bradypes qui vivaient dans le soleil et qui, de là-haut, regardaient avec étonnement, dans un abîme de ténèbres, nos petites et trébuchantes silhouettes ! À l’aube et au couchant, les singes hurleurs nous assourdissaient de leurs cris, les perruches de leur caquetage ; mais durant les chaudes heures du jour, le ronflement des insectes occupait seul les oreilles, comme un bruit de ressac sur une plage lointaine ; et rien ne bougeait entre les fûts prodigieux dont les enfilades plongeaient partout dans la nuit. Il nous arriva une fois d’entendre fuir lourdement devant nous, sans l’apercevoir, quelque animal bancroche, ours ou fourmilier : ce fut l’unique signe de vie terrestre que nous donna la grande forêt amazonienne.

D’autres signes nous prévinrent que jusque dans ces retraites mystérieuses, l’homme était proche. Le troisième jour, l’air retentit d’un singulier battement rythmique et grave, qui allait et venait capricieusement dans le matin. Les deux bateaux pagayaient à quelques yards l’un de l’autre, quand pour la première fois nous l’entendîmes. Nos Indiens s’arrêtèrent ; ils semblaient changés en statues de bronze ; et tandis qu’ils écoutaient, leurs visages exprimaient l’épouvante.

— Qu’est-ce que cela ? demandai-je.

— Des tams-tams, répondit négligemment lord Roxton, des tams-tams de guerre. J’ai eu jadis l’occasion de les entendre.

— Oui, Monsieur, des tams-tams de guerre, dit Gomez, le métis. Nous sommes guettés à chaque mille du chemin par des Indiens sauvages, des bravos, non des mansos. Ils nous tueront s’ils le peuvent.

— Comment font-ils pour nous surveiller ? questionnai-je, fouillant des yeux l’espace immobile et noir.

Le métis haussa ses larges épaules.

— Les Indiens savent. Ils ont leur système. Ils nous observent. Ils se parlent


RÉSUMÉ (suite)

recevoir de son interlocuteur l’affirmation stupéfiante de la survivance, en une contrée inexplorée du Nouveau-Monde, de toute une faune préhistorique. Quelques heures plus tard, au cours d’une conférence du naturaliste Percival Waldron sur les Époques terrestres, Challenger provoque par ses interruptions des protestations tantôt passionnées, tantôt burlesques de la part des assistants, et rencontre une incrédulité générale, lorsqu’il annonce publiquement sa découverte : « … Oui, des animaux supposés jurassiques, des monstres qui pourchasseraient et dévoreraient les plus grands, les plus féroces de nos mammifères, existent encore… » Il propose alors de faire constater sur place la véracité de ses dires par un comité choisi dans l’auditoire. Son défi est relevé par M. Summerlee, un vieux professeur d’anatomie comparée, par John Roxton, voyageur et chasseur de réputation mondiale, et par Édouard Malone, enfin, qui trouve là l’occasion de plaire par son courage à la jeune fille qu’il aime. Suivant les indications de Challenger, ils s’embarquent tous trois, à demi incrédules, pour le Sud-Amérique et ne s’arrêtent qu’à Manaos, au bord de l’Amazone. À cet endroit, alors qu’ils viennent d’ouvrir une enveloppe qui était sensée contenir des instructions complémentaires et ne renfermait qu’une feuille de papier blanc, ils sont rejoints de la façon la plus inattendue par Challenger lui-même. Quelques jours plus tard, accompagnés d’un nègre, le gigantesque Zambo de deux métis du Haut-Amazone Gomez et Manoel, et d’un petit groupe d’Indiens, les quatre Européens se trouvent en plein pays sauvage, « à la lisière de l’inconnu ».